Enjuiver la France

 

 

 

Le Nain Jaune avait contribué à désenjuiver la France; cela fait dix ans que j’essaye de l’enjuiver. Sur les bancs de Copernic, étourdi de Talmud, j’ai rapidement fait une autre découverte: les questionneurs hilares que je coudoyais possédaient tous des ancêtres qui savaient lire depuis près de trois mille ans. On n’est pas juif par acte de foi — contrairement aux catholiques priés de croire; on l’est si l’on consent à étudier. La fréquentation du Livre (la Torah) et de la chose écrite fonde l’identité des familles qui s’imaginent juives. Cette petite amicale de papivores tient donc plutôt mieux tête à l’adversité que la plupart des communautés humaines depuis deux ou trois millénaires; car elle bouquine et fait bouquiner ses enfants. La martingale gagnante est là: constituer un peuple du  livre, ruminant sans fin cette phrase magnifique du Talmud: « Le monde ne se maintient que par le souffle des enfants qui étudient. »

L’Aryen moyen est fier de son ADN; le Juif de sa bibliothèque.

Pour réparer l’oeuvre vichyste du Nain Jaune, j’ai donc formé le projet d’enjuiver les Français en en faisant progressivement un autre peuple du livre. Une nation ardente à lire aux éclats, fière de ses bibliothèques, radieuse de jouir de ses textes. Du crime du Vél d’Hiv à la promotion de la lecture… il n’y avait qu’un pas: je l’ai franchi par angoisse. Et par détestation de la haine.

Printemps 1998. Le Front national me rend malade.

La bouche de Jean-Marie Le Pen crache les opinions du Nain Jaune avec un déboulé qui enflamme une part colérique de la nation. Ivre de certitudes nationales, l’atrabilaire rameute les rancunes sociales à fleur de société, flatte les pas contents et fait reluire des chimères tricolores que je croyais effritées en 1945. De meetings bondés en réunions populaires, les gens bien, soudain, le font monter sur le pavois. S’agit-il d’un soudard aux yeux bleus, aux crocs blancs et aux yeux injectés de sang bien rouge ? Non, loin de ne coïter que dans l’insulte, le paladin de la haine française se bombe de vertus, se gonfle même de principes très chrétiens et convoque les plus hautes valeurs pour habiller de frais l’antique caquet raciste. Toujours la même méthode: l’ennoblissement du pire. On enveloppe les bas instincts dans le drapeau. Pour foncer vers l’inconduite, l’humanité semble avoir besoin d’élévation morale, de dévouement sincère et d’une solide dose de droiture. A Saint-Germain, on croit Le Pen vil, tortionnaire à ses heures et habile à capter des héritages; à Dreux, à Marignane ou à Orange on applaudit en « Jean-Marie » quelqu’un de réglo.

Comme le Nain Jaune, celui de 1942.

Avec mon ami Pascal Guénée, le soutien d’une bande d’écrivains crêtes d’optimisme, l’appui sincère de la Ligue de l’enseignement et de l’Union nationale des associations familiales, nous nous lançons à l’automne 1999 dans l’aventure du programme Lire et faire lire. Des centaines, puis des milliers, puis des dizaines de milliers de retraités répondront à notre appel en venant transmettre aux enfants des écoles maternelles et primaires de ce pays la jubilation de la lecture. La méthode de Lire et faire lire est simple, tendre et efficace: parier sur le lien inter-générationnel pour fabriquer une nation de lecteurs.

Je me suis toujours gardé de révéler qu’il s’agissait, à mes yeux de petit-fils du Nain Jaune, de réparer l’horreur du Vél d’Hiv.

Souvent, des gens se sont étonnés que j’aie pu dépenser, bénévolement bien entendu, autant d’énergie pour cette cause depuis des années. Ce militantisme ne me coûtait pas: je ne faisais que rembourser nos dettes familiales contractées en 1942-43.

A chaque fois que je pénètre dans une école où des mouflets rient autour d’un retraité occupé à se délecter d’un livre avec eux, en engoulant des livres dans le coin d’une bibliothèque, je repense fugitivement aux quatre mille gamins du Vél d’Hiv. Ils ont peut-être grillé mais l’esprit du judaïsme sera diffusé, envers et contre tout, jusqu’aux tréfonds de nos banlieues où rôde le chagrin social. Les funestes gens très bien n’auront pas le dernier mot.

Revenant de New York à la fin de l’an 2000, où il vivait et faisait alors carrière dans le négoce de tableaux, Zac me mit en garde de sa voix rauque:

— Ne le dis jamais publiquement !

— Quoi ?

— Que tu veux enjuiver la France. Ce serait contre-productif. Comment réagiraient les écoles des banlieues musulmanes ? Et les antisémites latents ? Tes mobiles intimes ne regardent que toi.

— Tu sais ce qui est contre-productif ? C’est d’avoir honte de ses mobiles. Et d’avoir peur de tout.

— Attends tout de même que Lire et faire lire soit un succès. Et pour l’instant, silence !

Des gens très bien
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